Une nuit. Cette nuit. Elle avait été magnifique, tout simplement. Inoubliable. Une nuit magique, comme jamais Kim n’en avait passé de sa vie. La dernière fois remontait l’année 2005. Sa première soirée avec son premier amour. Jamais Kim n’aurait pensé revivre un tel moment mais…Cette nuit-là, Kim s’était endormie dans les bras d’un ange. Elle se serait crue au paradis, transportée dans le plus féérique des univers. Elle avait plané dans le ciel, volé entre les nuages à la manière de Peter Pan. Mieux que la coc’, mieux que l’héro’, mieux que la marijuana, le cannabis, les emphét’, la morphine, mieux que toutes les substances apaisantes ou hallucinogènes qu’elle avait pu consommer, mieux que tout ce qu’on pouvait imaginer dans ce bas monde. Cette nuit avait été paradisiaque, mais bien trop courte pour en savourer chaque seconde comme si c’était la dernière. Le temps passe vite, trop vite. Sept heures, ça ne suffisait malheureusement pas. Kimberley aurait voulu que ce merveilleux voyage soit beaucoup plus long. Elle aurait voulu que ce moment ne finisse jamais. Qu’il se fige dans le temps afin que plus rien ne soit, plus rien ne compte, ni le passé, ni le futur, juste cet instant, vivre à la seconde, vivre à en crever. C’était cela qu’elle voulait par-dessus. Mais elle savait que c’était impossible. « Dans cette vie rien n’est acquis ma fille. Si tu trouves le bonheur, garde-le jalousement et mets tout en œuvre pour qu’il n’ait jamais aucune raison de s’en aller. » Disait sa mère. Kim aurait dû l’écouter. Elle aurait dû repenser à cette phrase de celle qu’elle considérait comme une grande sage, elle aurait dû se rappeler de ses mots au moment où Sacha la plaquait au mur, qu’il glissait ses lèvres dans son cou en même temps que ses mains se faufilaient sous sa robe ; là elle lui aurait dit non. Car elle avait trouvé le bonheur avec Jake. Mais elle s’était laissée entraînée par les plaisirs de la chair et elle avait tout perdu : sa confiance, son estime, mais aussi et le plus important, son amour. Et par la même occasion le bonheur. Car Jake était son bonheur. Cet amour qu’il lui portait avait peut-être refait surface hier, Kim n’en savait rien. Elle l’espérait juste. Jake avait ce petit quelque chose, cette étincelle qui faisait de chacun de ses moments avec Kim des moments de pur bonheur, de plaisir intense. Et lorsqu’avait eu lieu la rupture, le monde de la jeune femme s’était effondré. Tous ses côtés les plus sombres avaient ressurgi, tous ses vieux démons endormis en elle s’étaient réveillés pour semer la zizanie dans son esprit et dans son âme.

Lorsque ses lèvres effleuraient les siennes, lorsque sa main entrait en contact avec sa peau, lorsque leurs deux corps fusionnaient pour ne faire plus qu’un…Cette alchimie entre eux était presque palpable. Jake était le deuxième amour de Kim. Elle n’avait plus ressenti de telles émotions avec un homme depuis très longtemps. Depuis Ty, depuis Aidan…Elle n’avait jamais pensé, même imaginé qu’elle pourrait de nouveau aimer comme elle avait aimé. Elle ne le voulait même pas, de toute façon. Pourquoi ? se demande-t-on. Tout le monde veut connaître au moins une fois dans sa vie le grand amour. A Kim, cette fois avait suffi, elle n’en voulait plus. Car, lorsqu’elle l’a connu au début, rien ne pouvait être plus parfait. Mais lorsqu’elle l’a quitté, ce fut une véritable descente aux enfers pour la jeune fille qu’elle était à l’époque. Les envies suicidaires l’envahissaient. Elle n’avait plus goût à la vie. Elle était en proie aux emphét’, à la cocaïne, la morphine, la vodka et aux automutilations, d’où les nombreuses marques encore visibles sur ses poignets. Elle s’était fait droguer au GHB par le type qui lui faisait office de petit ami et avait vu une vidéo de leurs ébats sur Youtube. Elle avait perdu sa meilleure amie, celle qui comptait le plus à ses yeux. Elle avait vécu la pire année de sa vie après avoir « connu l’amour ». Et cet amour, ce passé, elle voulait le fuir en venant ici, a New York. Mais malheureusement, l’amour l’y a suivi et de nouveau, elle avait connu le bonheur à son paroxysme. La douceur, l’amour, et surtout le respect. Le respect comme jamais elle n’en avait reçu, comme elle ne pensait pas le mériter. Et à nouveau, il y avait eu la rupture. Elle avait pour la seconde cet enfer. Elle avait sombré dans un abysse de désespoir. Elle broyait du noir, et au fond d’elle, elle était brisée en mille morceaux. Mais elle ne voulait pas le laisser paraître devant le monde, ne voulant pas de la pitié d’autrui. L’amour l’avait rendu fragile, vulnérable. Elle avait quelque peu perdu goût à la vie, surtout en cette période grisâtre où elle ne songeait guère aux fêtes de fin d’année mais plutôt au fait que c’était à cette période que son amie était morte. Mais Jake lui avait redonné goût à la vie. Il l’avait ressuscité le temps d’une nuit. Kim avait fini par n’en garder que les merveilleux moments passés aux côtés du beau blond. Et, pendant cette nuit, elle avait eu la folie d’imaginer qu’entre elle et lui, il pourrait encore y avoir quelque chose. A l’époque, Jake était fou amoureux de Kim. Ca se voyait à la façon dont il la traitait. La façon dont il caressait sa joue en souriant avant de l’embrasser, la façon dont il déposait un long baiser sur son front avant qu’elle s’endorme dans ses bras. La façon dont il la prenait dans ses bras chauds et musclés pour la réconforter quand elle pleurait. Tout cela manquait terriblement à Kim…Même s’il ne lui avait en tout et pour tout « je t’aime » que trois fois, il lui avait bien montré la nature et la profondeur de ses sentiments envers elle.

La jeune femme était au comble du bonheur. Passer sa nuit dans les bras de Jake, étendue sur son torse nu était inespéré pour elle. La douceur du contact entre leurs corps lui procurait une chaleur apaisante. Les yeux à demi-clos, la belle songeait encore de ce monde parfait, de cette harmonie qu’il y avait entre eux. Rien que la pensée de se réveiller à ses côtés lui arracha un sourire. Mais la belle était à mille lieues d’imaginer la supercherie et elle continuait de rêver sur son petit nuage. (…) Doucement, la brune ouvrit les yeux, clignant une dizaine de fois par seconde, elle étira longuement ses bras à la verticale avant de se frotter les yeux et s’extirper du grand lit qui prenait la moitié de la pièce. Quelle ne fut sa surprise et sa peine lorsqu’elle ne vit à ses côtés qu’un grand coussin négligemment posé sur le lit défait. La belle se précipita dans toutes les pièces à la recherche d’une quelconque trace de son amant mais ne finit par trouver de lui que son blouson noir. Une veste en cuir qu’il ne quittait jamais. Kim comprit ainsi la hâte dans laquelle il avait quitté son logement. La gorge serrée, elle s’avança vers la chemise qu’elle agrippa fermement, avant d’en humer tout le parfum, celui de Jake. Une incompréhensible sensation de bien-être et de nostalgie s’empara d’elle. Rabattant lentement ses paupières, elle respirait, elle revivait le passé, dans ce parfait qui l’enivrait et restait absorbée par cela pendant quelques secondes. La jeune femme qui finit par reprendre ses esprits, se pressa d’aller sur le balcon, pour observer un quelconque signe de Jake. Le fait de s’arrêter sur un balcon en sous-vêtements n’était pas très intelligent, du fait du froid qu’il faisait à cause de la neige encore présente en grande quantité ce matin et de la connotation exhibitionniste qu’elle renvoyait à celui ou celle-ci qui la verrait. Mais la brunette n’avait que faire de l’avis des autres, elle voulait juste le voir, c’était la seule chose qui comptait.

Lorsqu’elle baissa les yeux, elle l’aperçut, sans sa veste, courant pour échapper à la température glaciale qu’il faisait dehors. L’abandon, la fuite. Il abandonnait. Il abandonnait la partie, il renonçait à tout ce qu’ils auraient pu reconstruire ensemble. Il l’abandonnait elle. Ne pouvant se résigner à une telle fin pour leur histoire, Kimberley enfila les premières choses qui lui tombèrent sous la main, c'est-à-dire un grand tee-shirt transparent et des pantoufles blanches, et partit à la « poursuite » du grand blond. Bien évidemment, celle-ci prit sa veste avec elle. Elle allait la lui rendre s’il ne voulait plus la voir. Kimberley courrait dans les couloirs et descendait les escaliers deux par deux. Le bruit de ses pantoufles pourrait alarmer tout le dortoir, mais tout cela était le cadet de ses soucis. Promptement, elle arriva en bas. La neige avait recouvert de son manteau blanc toutes les surfaces de la ville. Les petits pieds de Kim s’enfonçaient dans le sol à cause de l’épaisse couche de neige et ralentissait ses pas. Néanmoins, l’esprit qui l’animait était si fort que rien ne pouvait l’arrêter. Elle avait tant de choses sur le cœur, tant de choses à lui dire qu’elle ne pouvait pas rester là, à pleurer et regretter. Lorsqu’enfin, la traversée du combattant s’acheva, elle s’empressa de rejoindre l’appartement de Jake. Ouvrant la porte sans frapper, elle fut sous le choc, étonnée de trouver une jeune homme, assis au pied du canapé, recroquevillé sur lui-même, mortifié, les yeux rougis par l’alcool et la drogue qu’il avait dû prendre en grande quantité. Ses joues étaient boursouflées, il avait pleuré. Kim se torturait l’âme sur place car elle savait que c’était elle et elle seule qui l’avait mis dans cet état. Elle avait un goût exécrable dans la bouche. Une boule se forma dans son estomac, c’était atrocement douloureux. Elle était comme paralysée. Et lorsque, avec froideur et nonchalance, Jake releva les yeux sur elle, elle sentit un vent glacial la pénétrer, ce n’était que maintenant qu’elle ressentait le froid qu’il faisait dehors. La voix tremblotante, elle déglutit avant de tenter de sortir deux mots. « Tu…Tu as oublié ta… veste. » dit-elle faiblement, sans savoir sa phrase avait atteint l’oreille du jeune homme. Visiblement faible, elle fit un pas vacillant vers lui, et comme prise dans un filet invisible, elle ne put plus bouger. Immobile, elle fixait Jake, elle attendait des paroles qui pourrait la délivrer de cette emprise.

L’état dans lequel Kim trouva Jake ? Lamentable, navrant, piteux…Et encore les mots étaient faibles. Ce n’était pas beau à voir. Il avait les yeux injectés de sang, le regard vide et vacillant, des cernes sous les yeux. Installée comme un fidèle ami à côté de lui, sa bouteille de whisky trônait, vide comme le regard du jeune homme qui se posait sur Kim. Un regard glacial. Kim savait que tout ça était de sa faute. C’était sa faute si Jake s’était complètement défoncé à en faire un coma éthylique combiné à une overdose. C’était elle la cause de ces torrents de larmes qu’il versait, de ces yeux injectés de sang, de ces atroces cernes et de cette mine dépitée. C’était elle qui avait fait qu’un homme au caractère de Jake puisse verser des larmes à s’en rougir les yeux. Il avait pleuré pour elle... C’est fou à quel point Kimberley pouvait le faire voyager d’un extrême à un autre. Autant elle lui donnait la sensation d’être beau, fort et invincible, autant elle le détruisait à petit feu. Comment est-ce qu’une personne peut-elle faire autant d’effet à un homme ? Comment pouvait-elle manipuler un homme comme Jake, tel un pantin désarticulé, sans qu’il n’arrive à se défaire de son emprise ? Comment arrive-t-elle à contrôler ses humeurs, à guider sa vie, à LE guider vers sa propre destruction, et ce, sans même le vouloir ? Comment et surtout pourquoi est-il aussi dépendant d’elle que des drogues qu’il consomme ? Kim avait ce pouvoir sur lui, cette attraction que seule sa mère jusqu’à présent – du moins à la connaissance de Kim – avait pu avoir sur lui. Un effet dont elle était consciente bien sûr, mais elle ne pouvait faire autrement car tout, absolument tout dépendait de Jake. Kimberley n’aurait jamais voulu le faire souffrir volontairement comme maintenant, ou il y a quatre mois, à leur rupture. Elle ne voulait pas qu’il se détruise pour elle, car s’il lui arrivait malheur, elle le suivrait certainement dans sa tombe.

Mais ce que Jake ignorait, c’était l’impact de ses mots, de ses actes ou même de ses regards sur la vie de Kim. Car oui, il avait aussi une emprise sur elle. Peut-être moins importante que celle qu’elle avait sur lui. Kimberley était en apparence une femme hautaine, forte, ravageante et inaccessible, mais au fond, elle était faible, fragile, comme une jeune rose, dont le moindre faux mouvement pourrait rompre la tige et faire tomber tous les pétales. C’était une jeune fille blessée, meurtrie à l’intérieur, elle avait besoin qu’on prenne soin d’elle. Et Jake réussissait si bien cette mission…Jusqu’au jour de son dérapage, de sa bêtise qui détruisit tout ce qu’il y avait de plus beau entre eux pour laisser place au désespoir, au dégoût, à la haine, et à des rivières de larmes noircies par le mascara. Une rupture plus douloureuse tu meurs.

Lorsqu’elle lui tendit sa veste, Jake la prit, sans même lui jeter le moindre petit regard et se contenta de lui dire un merci froid et timide. Pour Kim, ce fut comme un nouveau poignard qui s’ajoutait à ceux déjà enfoncés bien profondément dans son cœur. Pour elle, ce merci était clairement un rejet. Il tentait de la repousser en douceur, mais cela lui faisait plus mal qu’autre chose. Sa froideur envers elle lui était insupportable. Elle était telle qu’elle lui glaçait le sang dans les veines. Une immense et inexplicable douleur s’empara de tout son être, lui donnant envie de vomir. Elle était faible, ses jambes devenaient trop faibles pour soutenir son corps. C’était comme si son énergie vitale l’abandonnait. Elle vacillait, les mains tremblantes de froids. La belle, la magnifique Kimberley n’était plus que l’ombre d’elle. Elle en avait connu des hommes, des dizaines étaient passés dans son lit, mais jamais aucun ne lui avait fait un tel effet par des mots, que Jake comme il venait de le faire. C’était comme un ouragan sur un château de cartes. Comment pouvait-il lui faire, lui dire ça ? Avait-il un temps soit peu conscience de comment il venait de la démolir ? Maintenant que Kim avait repris goût à lui, à sa chaleur, à sa présence, Jake voulait l’en priver définitivement. Pour éviter qu’il ne disparaisse à nouveau de sa vie, elle avait quitté son appartement, les cheveux en batailles, les dents à peine brossées, elle n’avait pas mangé depuis hier, elle avait affronté le froid glacial de l’hiver avec un tenue pratiquement insignifiante, tout ça rien que pour lui, pour le retrouver. Et lui, n’en avait absolument rien à faire. Il y avait de quoi avoir mal, et Kim avait mal. Elle n’en pouvait plus, et donc elle craqua. Statique, les larmes commencèrent à flouer sa vision, puis en quelques secondes, à dévaler ses joues, son visage devint bientôt complètement inondé. « Jake, ça t’amuse de faire ça ? Tu trouves ça drôle de me faire du mal ? » Les larmes coulant de plus belle, elle éleva la voix, comment pour alléger le lourd fardeau qu’elle portait. « Tu trouves ça jouissif de savoir que je pleure, que je me taillade les poignets, que j’ouvre les veines, que je saigne, que je me détruis pour toi ! Je t’ai trompé une fois et je sais que j’ai mal fait, mais est-ce que ça mérite vraiment tout ce que tu me fais endurer ?! Hier soir, tu m’as embrassé, on a passé la nuit ensemble, on était à deux doigts de faire l’amour ! Et ce matin, tu disparais, sans laisser de trace, comme si de rien n’était. Et tu t’attends à ce que je réagisse comment ?! J’en ai marre, Jake. Marre de souffrir pour toi ! Dis-moi pourquoi tu me fais ça ?! Tu veux que je disparaisse de ta vie, c’est ça ? Dis-le moi, dis-moi ce que tu veux parce que là je peux plus, je craque… » Elle avait fini. Fini de dire ce qu’elle pensait, du moins pour l’instant. Elle avait tout évacué mais la douleur était toujours là. Le jeune homme, l’air insensible à son discours, avait la tête baissée, n’osant même pas la fixer. Kimberley, regardant Jake, fit demi-tour sur elle-même et marcha jusqu’à la porte d’entrée. Elle lui jeta un dernier regard, avant d’ouvrir la porte et de sortir de son appartement. Une fois dans le couloir, elle se laissa glisser le long de la porte, pleurant à chaudes larmes. Elle tenait son visage entre ses mains pour que personne ne la voie. Elle savait à quel point elle était affreuse, repoussante. « Il n’y a rien de plus laid, de plus pathétique et de plus repoussant qu’une fille amoureuse. » dit-on. C’était présentement le cas de la jeune femme. Utilisant le peu d’énergie et de force qui lui restait pour se tenir debout, elle avança de quelques pas lents et chancelants, totalement différents de ceux qui l’avaient menés ici. Ca y est. Au moment où elle avait réussi à recoller quelques morceaux, il lui brisait à nouveau le cœur.

La destruction, le néant, la mort. Voilà ce que Kim ressentait, l’état dans lequel elle était. Elle était complètement démolie, anéantie. Jamais, au grand jamais elle n’avait ressenti une telle sensation pour un homme. Son amour pour Jake et sa passion dévorante pour lui l’avaient mené à sa perte. Sa peau la brûlait, la picotait, c’est comme si elle se consumait de l’intérieur. Elle se sentait oppressée, prisonnière de son propre corps. Ses mains moites prenaient appui sur le mur pour l’aider à descendre. Elle avait du mal à respirer, ses yeux pleins de larmes ne distinguaient que grossièrement les couleurs et les formes. Kim aurait mille fois préféré recevoir une balle dans le crâne plutôt que de supporter cette monstrueuse souffrance qui la rongeait. Elle voulait mettre fin à ses jours, de quelques manières que ce soit. Elle aurait voulu sauter dans le vide, se passer la corde au cou, se noyer, s’entailler les veines du coude au poignet, elle aurait voulu presser la détente d’un révolver chargé contre sa tempe…Elle se serait ôtée la vie pour disparaître de celle de Jake et pour abréger sa douleur.
Kim n’avait jamais vraiment réalisé l’ampleur de son amour pour Jake. Elle l’aimait éperdument, passionnément, aveuglement, presque follement. Jake était ce qui lui était arrivé de mieux dans toute son existence. Entre eux deux, tout marchait toujours à merveille. L’amour, l’amitié, l’alchimie, le sexe…Tout était parfait. Le havre de paix et de bonheur dans lequel ils vivaient était quasiment indestructible. Il était son prince, son chevalier servant, son ange gardien. Il avait réveillé la belle, la gentille, la douce Kimberley d’autrefois. Il faisait ressortir tout ce qu’il y avait de meilleur en elle, son sourire, sa bonté, sa générosité, sa noblesse…Mais il avait suffi d’une nuit pour que sa vie bascule de nouveau. Et que son paradis s’envole. Elle avait accusé Jake d’être la cause de son malheur alors que tout, tout était de sa faute. Elle portait toute seule le fardeau des conséquences de ses actes. Cette pensée lui rongeait tout son être et lui procurait une désagréable et douloureuse sensation de mal être. Elle avait été stupide, stupide de se dire que peut-être demain, tout serait comme avant. Stupide de vouloir donner une seconde chance à leur histoire alors que Jake en voulait autrement. Elle aurait dû faire marcher arrière lorsqu’elle avait reconnu son ex dans ce bar. Elle aurait dû le laisser poursuivre sa vie sans elle. Qu’il soit bien, c’était l’essentiel. Elle se sentait bête, salie, humiliée. Elle se sentait morte sans lui, mais ce qui comptait vraiment pour elle, c’est qu’il soit vivant sans elle. Elle se rendait peu à peu à l’évidence : depuis la précédente nuit qu’elle avait passée à ses côtés, elle ne pouvait plus se passer de lui. Et là, elle allait le perdre à tout jamais.
La brunette avançait difficilement. Elle n’avait plus de force. Bien qu’elle tentât de rassembler ses énergies, elle ne put aller plus loin que la quatrième marche. Elle s’adossa au mur, faible. Elle pleurait maintenant en silence. Ses joues avaient enflés. Ses joues et ses yeux étaient d’une rougeur écarlate. Elle essayait de reprendre ses forces pour continuer sa route jusqu’à son appartement. Elle n’en pouvait plus. Les yeux fermés, elle pensait. Elle imaginait sa vie, sans lui. Qu’est-ce qu’elle deviendrait ? Elle l’aimait beaucoup trop pour le laisser disparaître maintenant. Kim aurait voulu retourner le voir à l’instant, et lui crier qu’elle l’aime, qu’elle l’aimait beaucoup trop pour qu’il s’en aille. Elle aurait voulu le crier au monde entier, comme une folle. C’est alors qu’au moment le plus triste, le plus désespéré, il lui apparut, dans la lumière, parfait à ses yeux. Elle ne voyait pas son mal, sa faiblesse mais sa brillance, sa force. Le jeune homme, d’une voix entrecoupée, sèche, et saccadée qu’il lui demandait pardon. « Je t’aime. » Ses mots étaient une sorte de coup fatal. Ils résonnaient dans sa tête à l’en faire exploser. C’est comme si le temps s’était arrêté et que ce moment repassait en boucle. Encore, encore et encore… Kim était comme libérée, elle avait trouvé un oasis de paix dans ce désert de malheur et de désolation. Rien ne pouvait être plus beau en ce moment. Elle se sentait bien, elle respirait de nouveau. Elle était de nouveau vivante. Entendre ces mots la soulageait. Mais, comme si rien ne pouvait jamais être parfait dans son monde, comme si le sort s’acharnait constamment contre elle, le jeune homme s’écroula, à bout de force. Il avait l’air d’être, très mal en point. Voyant se dérouler la descente aux enfers de son amour et entendant les dernières paroles qu’il prononçait, Kim se précipita vers lui. L’état de Jake était alarmant, il gisait sur le sol, inconscient. Kim risquait de le perdre, pour de bon. Elle paniquait. Jake risquait de mourir et elle ne savait pas s’il faisait une baisse de tension, une crise d’angoisse, un coma éthylique ou autre. « Jake s’il te plait ouvre les yeux ! Ne me laissa pas Jake. Je t’aime, je t’aime Jake. S’il te plaît réveille-toi ! Dis-moi quelque chose, ne m’abandonne pas ! Jake ! » De nouveau, ses larmes versaient sur le visage blême du jeune homme. Lui tapotant les joues pour qu’il revienne à lui mais sans succès, elle cherchait un moyen de le réveiller. Elle pressa rapidement ses lèvres contre les siennes avant de crier à l’aide. Son souffle était faible, coupé. Elle respirait mal, elle était pâle. Elle aussi à son tour, était à deux doigts de s’évanouir. Elle fouillait ses poches dans le but de trouver un téléphone mobile. Fébrilement, elle composa le numéro des urgences. Elle pouvait à peine parler. Ses expressions étaient vagues, imprécises, elle ne savait pas s’ils arriveraient à les trouver à temps. Elle avait peur, peur qu’il meurt, car si ça arrivait, elle n’hésiterait pas une seconde à le suivre.

Kim était plus désemparée, plus mortifiée que jamais. Son apparence était déplorable. Elle était d’une pâleur cadavérique, elle avait les yeux rougis par les perles d’eau salée émanant continuellement de ceux –ci. La belle Kim, toujours resplendissante était méconnaissable. Jamais elle n’avait été ainsi mise, même après avoir avalé dix-sept verres de vodka d’affilée, même après s’être shootée avec toutes sortes de drogues à tel point qu’un type ait pu abuser d’elle sans problème et de surcroît, filmer la scène. Il n’y avait que Jake qui arrivait à la mettre dans un tel état. Elle n’avait jamais ressenti une pareille sensation de mal être, autant physiquement que psychologiquement. Elle était très affaiblie, déboussolée par cet enchaînement d’évènements tous plus éprouvants les uns que les autres. Si l’ambulance arrivait, elle aurait surement elle aussi besoin de leur aide. Car, plus l’état de Jake s’aggravait, plus elle se sentait mourir. Sa vie sans lui à ses côtés serait pire que la mort, un calvaire, un enfer, un véritable supplice. Mais elle continuait encore d’espérer que tout finirait pour le mieux. « Il ne faut jamais abandonner tant que la partie n’est pas finie. » Lui disait sa mère. Elle avait raison, mais Kim s’en rappelait-elle en ce moment ?

Lorsque la jeune femme vit Jake convulser, l’angoisse la gagna avec une double ampleur cette fois, une intensité telle qu’elle aurait cru recevoir une gifle en pleine face. Ses yeux roulaient et finirent par rester blancs dans la cavité de son orbite. Elle n’avait jamais assisté de toute sa vie à ce genre de scène. C’était vraiment atroce, effrayant de voir cela en face. D’autant plus que cela n’arrivait pas à n’importe qui, c’était Jake, son Jake qu’elle chérissait tant. Qu’elle devait regarder mourir, complètement impuissante. Le sang commençait à couler le long de sa narine droite, arrivant presque à sa bouche. C’était surement à force d’inhaler ces drogues fortes qu’il consommait en grandes quantités. Mais Kim ne réfléchissait pas à la cause de cet écoulement nasal ou à énumérer tout ce qu’il faisait d’illicite. Elle devait regarder l’amour de sa vie agoniser lentement, mourir à petit feu. La brunette priait de tout son cœur et de toutes ses forces pour qu’une ambulance dans la seconde qui suit et vienne sauver Jake. Mais pour l’instant, rien de très réjouissant ne se passait. Elle était à deux doigts de craquer, d’éclater en sanglots, de paniquer, de hurler de douleur et de jurer contre le monde entier. Car elle ressentait tout, absolument ce qui se passait dans le corps, dans la tête et dans l’esprit du jeune homme, elle le connaissait par cœur. Il avait peur de la quitter, il avait peur de mourir aujourd’hui, maintenant. Il y avait tellement de choses qu’il aurait aimé faire avant ce moment fatidique. Kim aussi avait peur qu’il meurt, mais elle se devait de demeurer forte dans cette situation, pour lui, pour eux. S’il entendait sa voix, elle voulait le calmer, le rassurer, l’apaiser comme elle l’a toujours fait. « Tout va bien mon chéri, je suis là, avec toi. N’aie pas peur, ils arrivent, ils vont te sauver. » Dit-elle en lui caressant le crâne du haut vers le bas. Elle était intérieurement plus apeurée et affolée qu’il n’y paraît mais elle n’avait pas le choix. Elle ne voulait rien montrer. Elle ne savait pas si ce qu’elle avait dit allait se réaliser, si c’était vrai et craignait que ce ne soit pas le cas. Mais elle continuait de prier pour que tout finisse par aller pour le mieux.

Que faire lorsque tout ce qui compte le plus, tout ce qui vous est le plus cher sur la terre vient à disparaître ? La meilleure chose est peut-être de les suivre. Kim aurait toujours préféré mourir à la place de son amie Kelly. A quoi ça sert de vivre si toutes les places prises de votre cœur finissent par se remplir d’un immense vide désertique ? Si tous ceux que vous aimez finissent par vous abandonner, vous laissant seul et livré à vous-même, dans un oasis de douleur et de désespoir ? Kim se posait constamment cette question depuis déjà bien longtemps. Lorsque son premier amour avait rompu avec elle, lorsque sa meilleure amie était morte et ce, par sa faute, lorsque son meilleur ami était parti faire le tour du monde et qu’elle pensait ne plus jamais le revoir …Et à cette question, elle n’avait trouvé qu’une et même réponse : partir avec eux.
Il y avait environ deux mois que sa mère lui avait annoncé que le jet privé de son père avait fait un crash et que ce dernier était ‘endormi’ entre la vie et la mort. Et que le médecin comptait le débrancher à la fin du mois si son état ne présentait aucune amélioration. Elle n’avait pas eu l’occasion de le voir avant…et après. Elle était en froid avec lui depuis des années déjà. Elle n’avait pu lui dire qu’elle était désolée, qu’elle s’excusait, pour qu’il puisse partir en paix. Il allait s’en aller sans qu’elle ait pu lui dire au revoir, pour toujours, encore une fois. Et après son père, il fallait que les nerfs fragiles de la jeune femme supportent la vue atroce de Jake, lui aussi entre la vie et la mort, qui n’avait quasiment aucune chance de survie s’il ne recevait pas des soins en urgence. Elle regardait le corps statique et la position immuable de Jake, étendu sur le sol du Hall, les yeux fermés. Cette fois-ci, il y avait peu de probabilité que Kim puisse survivre au départ du beau blond. De plus en plus, la haine et le désespoir de ne pas le voir s’en sortir indemne la gagna, et, comme si elle attendait que le moment arrive pour s’en aller vers la lumière la main dans la main avec lui, elle glissa les doigts entre les siens et s’allongea sur sa poitrine tiède d’où l’on entendait encore les faibles battements de son cœur et se mit à pleurer en silence, trouvant le temps long. Elle avait tout perdu maintenant, elle le savait.

Au moment où la dernière petite flamme d’espoir était prête à s’éteindre dans le cœur de Kim qui avait épuisé toutes ses larmes, une sirène parvint à ses oreilles. Lorsque le bruit se fit de plus proche, un sourire – le premier de toute cette longue et éprouvante matinée – se dessina timidement sur les lèvres de la jeune femme à l’idée de savoir que le calvaire était peut-être terminé, qui retrouvait une lueur scintillante d’espoir. Elle se leva d’un bond et en hâte, courut dehors pour les alerter. Comme quoi, il y avait un Dieu qui veillait sur eux là-haut ! Ses jambes la guidant plus vite qu’elle ne pouvait aller, elle courrait à en perdre haleine vers l’ambulancier descendu qui semblait chercher la personne dont l’état critique qui nécessitait les soins des urgentistes. A l’aide de grands gestes et de cris à gorge déployée, elle attira enfin leur attention. Elle finit par s’immobiliser à leur niveau à bout de souffle et de forces. La panique, la fatigue, la joie, la peur, le soulagement…Tous ces sentiments aussi contraires soient-ils à se mélanger dans l’être de la jeune femme. A peine avait-elle réussi à respirer de nouveau qu’elle se mit à parler d’une voix alerte. « Il est là-bas, dans le hall. Sauvez-le je vous en prie, il va mourir ! Il a vidé une bouteille de whisky et il a prit de la cocaïne. S’il vous plaît, aidez-le. » Dit-elle complètement hors d’elle. « Calmez-vous mademoiselle, nous ferons de notre mieux. Qui êtes-vous ? » Demanda-t-il d’un ton posé, traduisant son statut par rapport au jeune homme. « Je suis Joyce, sa petite amie. » Avait-elle répondu, c’était sorti tout seul. « Occupez-vous d’elle Anna, elle est mal en point. » ajouta-t-il à la jeune femme en uniforme avec eux. Lorsque les ambulanciers se dirigèrent vers le hall pour tenter de sauver Jake, celle-ci les suivait en marchant vite, mais ses forces l’abandonnèrent dès ses premiers pas. S’immobilisant, elle chancela. La terre semblant tourner de plus en plus vite. Autour d’elle tout défilait à une vitesse anormale. Prise d’un vertige, il lui semblait que le sol disparaissait sous ses pieds. « Sauvez-le je vous en prie. » Prononça la brunette d’une voix aigue avant d’écrouler à terre sans vie. Elle aussi serait donc envoyée en urgence. Les personnes restées au véhicule se précipitaient pour la transporter sur un brancard dans le camion, aux côtés de son amour. Elle avait perdu connaissance, elle aussi. Mais elle préférait y rester si Jake ne s’en sortait pas.